Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/411

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temps en temps un personnage officiel s’enfonce et pénètre péniblement, grâce aux épaules des acolytes, comme une fiche de fer dans une pièce de bois. Sous les tribunes de l’entrée, dans une sorte de cage, les dames s’asseoient sur leurs talons et respirent du vinaigre. Çà et là, des suisses en panache blanc et en costume d’opéra profitent de leurs larges pieds et s’étayent sur leur hallebarde. Le ronflement monotone des psaumes dure et reprend toujours.

Cela n’empêche pas les figures de Michel-Ange d’être des géants et des héros. Ah ! si je pouvais me coucher sur le dos pour regarder les prophètes ! Quels vaillants troncs, quels magnifiques corps primitifs que ceux d’Adam et d’Ève ! Et ce terrible Christ du jugement, quel Apollon vengeur, quel sublime Jupiter foudroyant ! De quel geste de combattant vainqueur il accable les corps de ses ennemis précipités ! Tout vient de l’antique ici ; quand Bramante conçut Saint-Pierre, il prit ses deux idées dans le Panthéon et la basilique de Constantin ; les deux âges se renouent.

Enfin le Kyrie, puis le Miserere. Cela vaut toutes les douleurs de genoux et de reins qu’on a subies. L’étrangeté est extrême ; il y a des accords prolongés qui semblent faux et tendent l’ouïe par une sensation pareille à celle que laisse dans la bouche un fruit acide. Point de chant net et de mélodie rhythmée ; ce sont des mélanges et des croisements, de longues tenues, des voix vagues et plaintives qui ressemblent aux douceurs d’une harpe éolienne, aux lamentations aiguës du vent dans les arbres, aux innombrables bruits douloureux et charmants de la nature. Rien de plus original et de plus grand ; l’âge musical qui a fait une toile messe est séparé du