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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/19

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filles relèvent leurs cheveux à la mode In plus nouvelle, avec des bouffantes sur le devant de la tête ; elles ont un fichu de soie, des pendeloques, un peigne doré. À Rome, des plus sales taudis sortaient des têtes superbes et riantes. Tout à l’heure, en traversant une petite ville, à je ne sais quelle fenêtre borgne, dans une rue triste et terne, j’ai vu un corsage de velours noir se pencher à demi au-dessus d’une fenêtre et de grands yeux noirs jeter un éclair. — Ailleurs, elles relèvent leur châle sur leur tête, et se trouvent toutes drapées pour un peintre. — Nous croisons une charrette qui porte huit paysans entassés ; ils chantent en parties un air noble et grave comme un choral. — Les moindres objets, une forme de tête, un vêtement, les physionomies de cinq ou six jeunes gens qui, dans une auberge de village, disent des douceurs à une jolie fille, tout indique un monde nouveau et une race distincte. À mon avis, le trait marquant qui les distingue, c’est que pour eux la beauté idéale et le bonheur sensible sont la même chose.

La route monte, et la voiture avance lentement avec des chevaux de renfort sur les escarpements de la montagne. Un torrent serpente ou dégringole, maigre et étouffé, sous la large grève de cailloux qu’il a roulés pendant l’hiver. Les ossements blancs de la montagne percent à travers le manteau roux de forêts dépouillées ; je n’ai pas vu de montagnes plus travaillées de soulèvements ; parfois, les couches redressées sont debout comme une muraille. Toute cette charpente minérale a été concassée, et semble disloquée, tant chaque assise a de fentes et de crevasses. Au sommet, des plaques de neige marbrent le tapis des feuilles tombées.