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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/18

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et se renverse dans l’agonie ; béants ou ployés, ils s’obstinent à vivre, et ni la pente, ni la pierre, ni les eaux d’hiver ne triomphent de leur vitalité et de leur effort.

Vers Narni, l’aspect change ; la route court à mi-côte, et toute la montagne qui fait face est vêtue de chênes-verts : ils ont pullulé partout, jusque dans les creux et les cimes inaccessibles ; seuls, quelques murs de roche perpendiculaire se sont défendus contre leur invasion. La montagne ronde se lève ainsi, depuis le torrent jus qu’au ciel, comme un magnifique bouquet d’été intact au milieu de l’hiver. Au sortir de Narni, le paysage s’embellit encore ; c’est une plaine fertile : des blés verts, des ormes mariés aux vignes, un grand jardin riant, tout à l’entour de hautes collines d’une teinte plus grave ; au delà un cercle de montagnes azurées et frangées de neiges. Soave austero ce mot revient bien souvent dans les paysages de l’Italie ; les montagnes donnent la noblesse, mais elles ne sont point trop hautes, elles n’accablent pas l’imagination ; elles forment des amphithéâtres, des fonds de tableau, elles ne sont qu’une architecture naturelle. Au-dessous d’elles, les cultures variées, les nombreux arbres à fruits, les champs étages composent une décoration riche et bien entendue qui fait promptement oublier nos monotones champs de blé, nos herbages plus monotones encore, et tous ces paysages du Nord qui semblent une manufacture de pain et de viande.

On voit passer quantité de petites carrioles qui portent un jeune homme et une jeune fille ; la jeune fille est gaiement habillée de couleurs voyantes, tête nue ; elle a l’air d’être avec son amoureux. Il y a ici mille traces de bonheur voluptueux et pittoresque. Les jeunes