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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/21

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féodale et républicaine : la noire porte San-Agostino, énorme donjon de pierres tellement ravagées et rongées qu’on dirait une caverne naturelle, et tout au sommet une terrasse soutenue par de jolies colonnettes encore romaines, délicates créatures, premières idées d’élégance et d’art qui fleurissent au milieu des dangers et des haines du moyen âge ; — le palazzo del Governo, sévère et massif comme il en fallait pour les batailles et les séditions des rues, mais avec un gracieux portail où s’enroulent des torsades de pierre et des cordons de sincères et naïves figures sculptées ; des formes gothiques et des réminiscences latines ; des cloîtres d’arcades superposées et de hautes tours d’églises en briques noircies par le temps ; des sculptures de la première renaissance, celle des treizième et quatorzième siècles, la plus originale et la plus vivante de toutes ; une fontaine d’Arnolfo di Lapo, de Nicolas et de Jean de Pise, un tombeau de Benoît XI, encore par Jean de Pise[1]. Rien de plus charmant que ce premier élan de la vive invention et de la pensée moderne à demi engagées dans la tradition gothique. Le pape est couché sur un lit, dans une alcôve de marbre dont deux petits anges tirent les rideaux. Au-dessus, dans une arcade ogivale, la Vierge et deux saints sont debout pour recueillir son âme. On ne peut rendre avec des paroles l’expression étonnée, enfantine et douloureuse de la Vierge ; le sculpteur avait vu quelque jeune fille en larmes au chevet de sa mère mourante, et, tout entier à son impression, librement, sans réminiscence de l’antique, sans contrainte d’école, il exprimait son sentiment. Ce sont ces paroles sponta-

  1. 1304.