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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/22

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nées qui font d’une œuvre d’art une chose éternelle ; on les entend à travers cinq siècles aussi nettement qu’au premier jour ; enfin, à travers l’oppression féodale et monastique, l’homme parle, et l’on écoute le cri personnel d’une âme indépendante et complète. Les moindres œuvres de ce premier âge de la sculpture vous arrêtent sur vos pieds et vous tiennent en place ; il semble qu’on entende une voix réelle et vibrante. Après Michel-Ange, les types sont fixés ; on ne fait plus qu’arranger ou purifier une forme arrêtée ou prescrite. Avant lui et jusqu’au milieu du quinzième siècle, chaque artiste, comme chaque citoyen, est lui-même ; la mode et la convention ne s’imposent ni aux génies, ni aux caractères ; chacun est debout devant la nature, avec son sentiment propre, et vous voyez surgir des figures aussi diversifiées et aussi originales dans les arts que dans la vie.

On chantait la messe dans la cathédrale, et je n’ai pu regarder qu’un tombeau d’évêque à l’entrée. Sous l’évêque couché[1] sont quatre femmes qui tiennent deux vases, une épée, un livre, dune simplicité et d’une largeur admirables, avec une ample figure et une magnifique abondance de cheveux, réelles pourtant, et qui ne sont qu’une empreinte plus noble d’un moule dont la vraie nature s’est servie. Être soi-même, par soi-même, par soi seul, sans réserve et jusqu’au bout, y a-t-il un autre précepte dans l’art et dans la vie ? C’est par ce précepte et cet instinct que l’homme moderne s’est fait et a défait le moyen âge. Voilà les rêveries qu’on emporte avec soi en errant dans ces rues baroques, mon-

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