Aller au contenu

Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tinople. Et cette dépendance, qui n’est qu’un nom, disparaît vite. Entre les césars dorés de Byzance et les césars cuirassés d’Aix-la-Chapelle, contre les gros vaisseaux des Grecs dégénérés et la pesante cavalerie germanique, ses marécages, son adresse, sa bravoure, la maintiennent libre et latine. Ses vieux historiens commencent leurs annales en se vantant d’être Romains, bien plus Romains que les Romains de Rome, tant de fois conquis et entachés de sang étranger. En effet, elle s’est retirée à temps de la pourriture impériale pour revivre à la façon militante et laborieuse des anciennes cités, dans un coin abrité où le débordement des brutes féodales ne peut l’atteindre. Chez elle, l’homme ne s’est point alangui dans la simarre de soie byzantine, ni roidi dans la cotte de mailles germanique. Au lieu de devenir un scribe sous la main d’un eunuque de palais ou un soldat aux ordres d’un baron de château fort, il travaille, navigue, bâtit, délibère et vote, comme jadis un Athénien ou un Corinthien, sans autre maître que lui-même, parmi des concitoyens et des égaux. Dès l’origine, pendant deux siècles et demi, chaque îlot nomme un tribun, sorte de maire renouvelable tous les ans, responsable devant l’assemblée générale de toutes les îles. Les premiers chroniqueurs rapportent que partout les aliments, les habitations sont semblables. Au sixième siècle, Cassiodore dit que chez eux « le pauvre est l’égal du riche, que leurs maisons sont uniformes, qu’il n’y a point de différences entre eux, point de jalousies. » On voit reparaître une image des sobres et actives démocraties grecques. Quand en 697 ils se donnent un doge, leur liberté n’en devient que plus orageuse. Il y a des rixes entre les fa-