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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/281

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milles, des coups de main dans les assemblées. Si le doge devient tyran et veut perpétuer sa dignité dans sa famille, on le chasse, on le l’ait moine, on lui crève les yeux ; souvent on le massacre, selon l’usage des cités antiques. En 1172, sur cinquante doges, dix-neuf avaient été tués, bannis, mutilés ou déposés. La cité a son dieu local, sorte de Jupiter Capitolin ou d’Athéné Poliade : d’abord saint Théodore avec son crocodile, puis saint Marc avec son lion ailé, et le corps de apôtre, rapporté par ruse d’Alexandrie, protège et sanctifie le sol de la patrie, comme jadis Œdipe, enterré à Colone, sanctifiait et protégeait le sol athénien. L’esprit public est aussi tort qu’au temps de Miltiade et île Cimon. Urseolo Ier a fondé un hôpital à ses frais, rebâti le palais et l’église de Saint-Marc de son propre argent. Son fils Urseolo II laisse les deux tiers de son bien à l’État et le reste à sa famille. Voilà donc une seconde pousse de l’olivier antique, verte et jeune, au milieu de l’hiver féodal. Par la forme de son État et par les bornes de sa religion, par ses habitudes et par ses sentiments, par ses périls et ses entreprises, par les aiguillons qui le pressent et les conceptions qui le guident, l’homme ici se trouve une seconde lois lancé dans la carrière que les autres sociétés humaines avaient abandonnée pour toujours.

Nous ne comprenons plus la force avec laquelle ils couraient dans ce champ fermé. Nous ne voyons plus les énergies que développaient les associations bornées. Nous sommes perdus dans un État trop grand. Nous n’imaginons pas les provocations incessantes au courage et à l’initiative que comportait la société réduite à une ville. Nous ne soupçonnons plus les ressources d’in-