Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/37

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qui lui reste de roideur ne fait qu’ajouter à la sévérité religieuse de ses figures. Un relief trop fort, un mouvement trop humain dérangerait notre émotion ; il ne faut pas des expressions trop variées ni trop vives pour des anges et des vertus symboliques ; ce sont toutes des âmes dans une extase immobile. Les fortes et splendides vierges, les archanges bien musclés qu’on fera dans deux siècles nous ramènent sur la terre ; leur chair est si visible que nous ne croyons pas à leur divinité. Ici les personnages, les grandes femmes nobles rangées en processions hiératiques, ressemblent aux Mathilde, aux Lucie de Dante ; ce sont les sublimes et flottantes apparitions du rêve. Leurs beaux cheveux blonds sont chastement et uniformément relevés autour de leur front ; pressés les uns contre les autres, ils contemplent ; de grandes tuniques à longs plis, blanches ou bleues, ou d’un rose pâle, tombent autour de leur corps ; ils se serrent autour du saint, autour du Christ, silencieusement, comme un troupeau d’oiseaux fidèles, et leurs têtes un peu tristes ont la langueur grave du bonheur céleste.

Ce moment est unique. Le treizième siècle est le terme et la fleur du christianisme vivant ; il n’y a plus après lui que scolastique, décadence et tâtonnements infructueux vers un autre âge et un autre esprit. Un sentiment qui auparavant n’était qu’ébauché, l’amour, éclata alors avec une force extraordinaire, et saint François en fut le héraut. Il appelait l’eau, le feu, la lune, le soleil ses frères, il prêchait les oiseaux, il rachetait, en donnant son manteau, les agneaux qu’on portait au marché. On conte que les lièvres et les faisans se réfugiaient dans les plis de sa robe. Son cœur dé-