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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/62

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porta de l’eau sur la place publique, s’encadre sous le plus élégant baldaquin de marbre.

Le soir baissait, je ne suis entré qu’un instant dans la cathédrale. L’impression est incomparable ; celle que laisse Saint-Pierre de Rome n’en approche point : une richesse et une sincérité d’invention étonnantes, la plus admirable fleur gothique, mais d’un gothique nouveau, épanoui dans un meilleur climat et parmi des génies cultivés, plus serein et plus beau, religieux et pourtant sain, et qui est à nos cathédrales ce que les poèmes de Dante et de Pétrarque sont aux chansons de nos trouvères ; un pavé et des piliers de marbre où s’étagent des assises tour à tour noires et blanches, une légion de statues vivantes, un mélange naturel de formes gothique et de formes romaines, des chapiteaux corinthiens qui portent un labyrinthe d’arceaux dorés et des voûtes plafonnées d’azur et d’étoiles. Le soleil couchant entre par les portes, et l’énorme vaisseau, avec sa forêt de colonnes, poudroie dans l’ombre au-dessus de la foule agenouillée dans les nefs, dans les chapelles, autour des piliers. La multitude fourmille indistinctement dans la noirceur profonde jusqu’au pied de l’autel, qui tout d’un coup, avec ses candélabres, ses figures de bronze, les chapes damasquinées de ses prêtres et toute la prodigue magnificence de son orfèvrerie et de ses lumières, se lève comme un bouquet de splendeurs magiques.