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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/66

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qu’on avait saisies. Par une nouveauté frappante, le corps, le col, la tête, un peu gros, ont une sorte de lourdeur dorique, mais cela ne fait qu’ajouter à leur force. Au sortir des saints ascétiques et maigres, l’artiste, imitant les bas-reliefs antiques, construit déjà la ferme charpente osseuse, les beaux membres proportionnés, la chair saine des corps de la renaissance. Dans la sculpture d’outre-mont, les physionomies et les attitudes que les artistes du Nord découvrent, lorsque leur génie éclot au quinzième siècle[1] sont délicates, pensives, frémissantes et toujours finement personnelles. Au contraire, celles-ci ont la simplicité, la largeur, le sérieux des anciennes têtes païennes ; il semble que l’Italien, en ce moment où pour la première fois il ouvre la bouche, recommence le discours mâle et grave arrêté, il y a douze cents ans, sur les lèvres de ses frères de la Grèce et de ses ancêtres de Rome.

Sur les parois de la chaire, un labyrinthe de figures pressées, une longue procession octogonale, la Nativité, la Passion, le Jugement, enveloppent le marbre de leur revêtement de marbre. Des apôtres et des vierges, assis ou debout aux encoignures, unissent et séparent les divers moments de la légende. Sur les rebords, s’entrelace une délicate et florissante végétation de marbre, arabesques, feuillages, tout un luxe d’ornements fins et multipliés. On se recule, étonné de cette abondance, et l’on s’aperçoit que l’on marche sur des figures. Le pavé tout entier de l’église en est incrusté ; c’est une mosaïque de personnages qui semblent tracés au crayon sur

  1. Sculptures de Brou, de Strasbourg, du tombeau du duc de Bretagne à Nantes.