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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/114

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LA FONTAINE

Un garçon de belles-lettres et qui fait des vers, nommé La Fontaine, est encore un grand rêveur. Son père, qui est maître des eaux et forêts de Château-Thierry en Champagne, étant à Paris pour un procès, lui dit : « Tiens, va vite faire telle chose, cela presse. » La Fontaine sort, et n’est pas plutôt hors du logis qu’il oublie ce que son père lui avoit dit. Il rencontre de ses camarades qui lui ayant demandé s’il n’avoit point d’affaires : « Non, » leur dit-il, et alla à la comédie avec eux. Une autre fois, venant de Paris, il attacha à l’arçon de sa selle un gros sac de papiers importants. Le sac étoit mal attaché et tomba. L’ordinaire (1) passe, ramasse le sac, et ayant trouvé La Fontaine, il lui demande s’il n’avoit rien perdu. Ce garçon regarde de tous les côtés : « Non, ce dit-il : je n’ai rien perdu. —Voilà un sac que j’ai trouvé, lui dit l’autre. — Ah ! c’est mon sac ! s’écrie La Fontaine ; il y va de tout mon bien. » Il le porta entre ses bras jusqu’au gîte.

[(1) On appeloit alors ainsi les courriers.]

Ce garçon alla une fois, durant une forte gelée, à une grande lieue de Château-Thierry, la nuit, en bottes blanches, et une lanterne sourde à la main. Une autre fois il se saisit d’une petite chienne qui étoit chez la lieutenante-générale de Château-Thierry, parce que cette chienne étoit de trop bonne garde, et, le mari étant absent, il se cache sous une table de la chambre, qui étoit couverte d’un tapis à housse. Cette femme avoit retenu à coucher une de ses amies. Quand il vit que cette amie ronfloit, il s’approche du lit, prend la main à la lieutenante, qui ne dormoit pas. Par bonheur, elle ne cria point, et il lui dit son nom en même temps. Elle prit cela pour une si grande marque d’amour