Aller au contenu

Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

on est en liberté Son mari et elle vivoient un peu trop en cérémonie.

Hors qu’elle branle un peu la tête, et cela lui vient d’avoir mangé trop d’ambre autrefois, elle ne choque point encore quoiqu’elle ait près de soixante-dix ans. Elle a le teint beau et les sottes gens ont dit que c’étoit pour cela qu’elle ne vouloit point voir le feu, comme s’il n’y avoit point d’écrans au monde. Elle dit que ce qu’elle souhaiteroit le plus pour sa personne, ce seroit de se pouvoir chauffer tout son saoul. Elle alla à la campagne l’automne passé, qu’il ne faisoit ni froid ni chaud ; mais cela lui arrive rarement, et ce n’étoit qu’une demi-lieue de Paris. Une maladie lui rendit les lèvres d’une vilaine couleur ; depuis elle y a toujours mis du rouge. J’aimerois mieux qu’elle n’y mît rien. Au reste elle a l’esprit aussi net, et la mémoire aussi présente que si elle n’avoit que trente ans. (C’est d’elle que je tiens la plus grande et la meilleure partie de ce que j’ai écrit et de ce que j’écrirai dans ce livre. Elle lit toute une journée sans la moindre incommodité, et c’est ce qui la divertit le plus.


MADEMOISELLE PAULET

Mademoiselle Paulet étoit fille d’un Languedocien qui inventa ce qu’on appelle aujourd’hui de son nom la Paulette, invention qui ruinera peut-être la France. Sa mère étoit de fort bas lieu et d’une race fort diffamée pour les amourettes. Elle disoit que son père étoit gentilhomme. Sa mère menoit une vie assez gaillarde. Mademoiselle Paulet avoit en sa jeunesse beaucoup de vivacité, étoit jolie, avoit le teint admirable, la taille fine, dansoit bien, jouoit du luth, et chantoit mieux que personne de son temps, mais elle avoit les cheveux si dorés qu’ils pouvoient passer pour roux.