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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/172

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soixante-quatre ans ; à la vérité, il étoit devenu bien turlupin,car il vouloit toujours dire de bons mots, et le feu de la jeunesse lui manquant, il ne rencontroit pas souvent ; M. le Prince et ses petits-maîtres en faisoient des railleries.

Sur le perron de Luxembourg, une dame de grande qualité, après lui avoir fait bien des compliments sur sa liberté, lui dit : « Mais vous voilà bien blanchi, monsieur le maréchal. — Madame, lui répondit-il en franc crocheteur, je suis comme les poireaux, la tête blanche et la queue verte. » En récompense, il dit à une belle fille : « Mademoiselle, que j’ai regret à ma jeunesse quand je vous vois ! »

Il dit aussi de Marescot, qui étoit revenu de Rome fort enrhumé, et sans apporter de chapeau pour M. de Beauvais : « Je ne m’en étonne pas, il est revenu sans chapeau. »

Comme il avoit une grande santé, et qu’il disoit qu’il ne savoit encore où étoit son estomac, il ne se conservoit point ; il mangeoit grande quantité de méchants melons et de pavies, qui ne mûrissent jamais bien à Paris. Après il s’installa à Tanlay, où ce fut une crevaille merveilleuse : au retour, il fut malade dix jours à Paris chez madame Bouthillier, qui ne voulut pas qu’il en partît qu’il ne fût tout à fait guéri ; mais Yvelin, médecin de chez la Reine, qui avoit affaire à Paris, le pressa de revenir. À Provins, il mourut la nuit en dormant, et il mourut si doucement qu’on le trouva dans la posture où il avoit accoutumé de dormir, une main sous le chevet à l’endroit de sa tête et les genoux un peu haussés. Il n’avoit pas seulement étendu les jambes. Son corps gros et gras, et en automne, fut cahoté jusqu’à Chaillot, où on lui trouva les parties nobles toutes gâtées ; mais c’est que le corps s’étoit corrompu par les chemins.