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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/210

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LA COMTESSE DE LA SUZE

Madame de La Suze, qui paroissoit stupide en son enfance et qui en conversation ne disoit quasi rien, il n’y a pas trop long-temps encore, fit des vers dès qu’elle fut en Ecosse ; elle en laissa voir, dès qu’elle fut remariée, qui n’étoient bons qu’à brûler. Depuis elle a fait des élégies les plus tendres et les plus amoureuses du monde, qui courent partout.

Le premier dont on a parlé fut un garçon de notre religion, nommé Lacger ; il est à cette heure conseiller à Castres : il a de l’esprit et fait des vers, mais médiocres. D’ailleurs, c’est un gros tout rond, et qui n’est nullement honnête homme (1).

[(1) Homme du monde. (T.)]

Il étoit allé à Lumigny avec un de ses amis qui connoissoit mademoiselle de La Suze. Là cette folle s’éprit de Lacger, et le lui dit. Elle lui a écrit un million de lettres et de vers les plus passionnés qu’on puisse voir ; mais ses belles-sœurs les empêchoient de joindre. Elle vint ici ; il alloit la voir et portoit une lettre ; elle se tenoit sur le lit, lui au pied, et mettoit cette lettre dans sa mule de chambre droite, et en prenoit une autre dans la gauche. Il la vit, déguisé sur les chemins, et une autre fois, comme il faisoit semblant d’aller à la chasse. Il se ruinoit en laquais et en messagers qu’il a fallu quelquefois envoyer jusqu’à Betfort.

Ce galant homme avoit conté cette histoire à Frémont, qui ne le croyoit pas, car c’est un des plus grands menteurs du monde ; mais il n’en douta plus par une aventure assez plaisante que voici : Comme il étoit en Champagne, un Anglois lui demanda la passade (2).

[(2) L’hospitalité pour une nuit.].

« J’avois, lui dit-il en