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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/211

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mauvais françois, une attestation de M. l’agent du roi d’Angleterre ; mais on me l’a déchirée à Lumigny. » Frémont, qui étoit peut-être le seul homme en Champagne qui sût cette affaire, lui demande comment cela étoit arrivé. « Comme je fus à Lumigny, deux demoiselles me demandèrent si j’avois des lettres de M. Lacger, j’entendis M. l’agent ; je tire mon attestation ; elles se jettent dessus et, en se l’arrachant l’une à l’autre, la déchirent ; après cela la plus jeune (on l’appeloit mademoiselle de Nermanville) vint à moi avec une lettre, et me dit : — C’est de Lacger, et non de l’agent, que je vous demande une lettre, donnez-la-moi ; en voilà une pour lui (elle faisoit cela pour voir s’il n’en avoit point). — Je lui jurai que je ne savois ce que c’étoit. » La comtesse trouva moyen après de lui parler ; elle lui parla en anglois, lui donna une lettre pour Lacger, lui enseigna son logis, et l’assura qu’il l’assisteroit. Il les servit depuis, et porta quelque temps leurs lettres. Déjà Lacger s’étoit servi de ces pauvres Anglois, qui vont demandant leur vie, et c’est pourquoi les deux filles demandèrent des lettres à celui-ci.

Le comte de La Suze est un homme où jamais il n’y a eu ni rime ni raison. Lui et sa femme avoient plus de quatre- vingt mille livres de dette. Pour l’acquitter, on lui proposa de se contenter de douze mille écus par an pour quelques années ; jamais il n’y voulut entendre. Il avoit cent personnes chez lui, cent cinquante chiens avec lesquels il n’a jamais rien pris, grand nombre de méchants chevaux. Là-dedans on n’est point surpris quand on vous annonce de vous coucher sans souper, tant toutes choses sont bien réglées. Il buvoit un temps du vin, un autre de la bière, et un autre de l’eau. On dit qu’il est assez plaisant en débauche. « Quand je n’aurai plus rien, disoit-il, j’irai avec les Allemands. » Betfort lui valoit quarante mille livres de rente ; mais, ayant pris le parti de M. le Prince, il a tout perdu.