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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/219

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LA CAMBRAY

Un orfèvre, nommé Cambray, qui avoit sa boutique vers le Châtelet, au bout du Pont- au-Change, avoit une femme aussi bien faite qu’il y en eût dans toute la bourgeoisie. Elle étoit entretenue par un auditeur des comptes nommé Pec. Le mari, quoique jaloux naturellement, n’en avoit point de soupçon ; car il le tenoit pour son ami, et croyoit, tant il étoit bon, que c’étoit à sa considération que ce garçon lui prêtoit de l’argent pour son commerce. Par ce moyen il fit une fortune assez grande, et il se vit riche à quatre-vingt mille écus.

Un jour, Patru, comme il pleuvoit bien fort, se mit à couvert tout à cheval sous l’auvent de sa boutique ; mais, pour être plus commodément, il descendit et entra dans l’allée de la maison. La Cambray étoit alors toute seule dans sa boutique ; et, l’ayant aperçu, elle le pria d’entrer : lui, qui la vit si jolie, y entra fort volontiers ; les voilà à causer. La dame, qui n’étoit pas trop mélancolique, se mit à chanter une chanson assez libre. « Ouais ! dit le galant en lui-même, je ne te croyais pas si gaillarde. » Elle vit bien qu’il en étoit un peu surpris. « Vois-tu, lui dit-elle, mon cher enfant, je n’en fais point la petite bouche : l’amour est une belle chose ; mais cela n’est pas bon avec toute sorte de gens ; j’ai une petite inclination. » Cependant la pluie se passe et notre avocat remonte à cheval : comme il étoit un peu coquet, il avoit assez d’autres affaires. Il fut prés d’un mois sans retourner chez la Cambray : il la trouva tout aussi gaie, et, pour ne point perdre de temps, il la voulut mener dans l’arrière-boutique. « Tout beau, lui dit-elle, mon mari est là haut ; mais venez me voir dimanche, il