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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/241

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choses, un jeune avocat de Castres fut obligé d’aller à Toulouse pour y poursuivre quelques affaires : par hasard il se trouva logé vis-à-vis de cette femme ; il la connoissoit déjà : les voilà les plus grands amis du monde. Il devient amoureux d’elle, et lui déclare sa passion. Elle lui répondit naïvement qu’elle étoit engagée ailleurs ; « car il faut que vous sachiez, lui dit-elle, que comme je ne puis vivre sans ami, aussi ne puis-je en avoir plus d’un à la fois. Tout ce que je puis faire pour vous présentement, c’est de vous prendre pour mon confident, en attendant que la place soit vide ; car je vous trouve bien fait et discret, et ce sont les deux seules qualités que j’estime. » Celui qui la possédoit alors étoit un jeune homme, nommé Canabère, frère d’un président au mortier, et un des garçons de Toulouse le mieux fait. Le jeune avocat savoit tout ce qui se passoit entre eux, voyoit les poulets du galant et aidoit quelquefois à la belle à faire réponse ; mais quoi qu’il fît, il n’en put jamais rien obtenir, et cette femme qui gardoit si mal la foi à son mari, la gardoit si exactement à son galant. Enfin Canabère la quitta pour se marier, et, prenant la connoissance du jeune avocat pour prétexte, lui écrivit une lettre pour rompre avec elle. Elle en fut sensiblement touchée, et pleura la moitié d’un jour, avec autant de douleur qu’il se pouvoit. Le jeune avocat tâcha de la consoler ; mais il n’en put venir à bout. Le soir il la fit souvenir de sa promesse ; aussitôt toute son affliction cesse ; elle se donne à lui, et d’une extrême tristesse passe en un instant à une extrême joie. Ils vécurent en fort bonne intelligence, et eurent bientôt pour se voir la plus grande commodité du monde ; car la Chambre de l’édit, qui étoit séparée à cause des troubles, se rejoignit après la déclaration du Roi, et fut envoyée à Béziers ; de sorte que le mari de cette femme y transporta sa famille ; et l’avocat, qui étoit fils d’ un conseiller, et qui commençoit à travailler au barreau, fut obligé de s’y rendre.

Le mari, qui n’étoit pas autrement satisfait de la conduite