Aller au contenu

Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/249

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jours après il corrompit le geôlier moyennant six cents pistoles : le geôlier se sauva avec lui, dont mal lui en prit, car le chevalier lui prit son argent, et le renvoya comme un coquin. On les suivit, et le chevalier fut repris. Son frère aîné ne perdit point de temps, et obtint une évocation à Paris, ou, pour mieux dire, une jussion de ne passer point outre. Cela lui sauva la vie, car c’est un crime capital, et voilà le chevalier en liberté à Paris, qui, au lieu de se retirer, ou du moins de vivre modestement, se promenoit à la vue de tout monde, ne bougeoit du cabaret et menoit toujours sa vie ordinaire. Quelques dévôts représentèrent à la Reine que sa régence ne prospéreroit point si elle laissoit ce sacrilège impuni. On donne donc ordre, à l’insu du cardinal Mazarin, au prévôt de l’Ile de prendre le chevalier ; ce qu’il fit, non sans y perdre des archers ; et, du côté du chevalier, Biran, un de ses frères. grand gladiateur, y fut fort blessé. On le mena à la Bastille, où il fut assez longtemps. Le cardinal assura le marquis de la vie de son frère ; car, pour la prison, ses parents eussent été ravis qu’on l’y eût tenu à perpétuité. À la cour, on murmuroit de cette sévérité, et les femmes mêmes disoient tout haut « qu’on n’avoit jamais vu arrêter un homme de condition pour des bagatelles comme cela. » Madame de Longueville étoit de ce nombre. Après il fut mené à la Conciergerie, et on parla tout de bon de lui faire son procès. En ce temps-là, comme quelqu’un lui disoit qu’il couroit fortune, et qu’il avoit Dieu pour partie, il répondit : « Dieu n’a pas tant d’amis que moi dans le Parlement. » Quoiqu’il y eût bien des témoins, on ordonna pourtant qu’il seroit plus amplement informé, et cela peut-être pour` lui donner le temps de faire évader les témoins ; mais le chevalier trouva que le plus sûr, sans doute, étoit de s’évader lui-même. La femme du geôlier, nommée Dumont, qui étoit une grande coquette, à qui souvent les prisonniers donnoient les violons, devint amoureuse de lui. Il se consoloit avec elle tout doucement ;