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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/272

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Voilà Montauron opulent ; il étoit si magnifique en toute chose qu’on l’appeloit Son Emminence gascone, et tout s’appeloit à la Montauron (1), comme aujourd’hui à la Candale.

[(1) Il y avoit même des petits pains au lait qu’on appeloit à la Montauron : « Sunt etiam panes qui aliâs à la Montoron, ab inventore forsan dicti sunt quibus sal et lac adjiciebantur ». Petri Gontier, medici regis ordinarii, Exercitationes Hygiasticoe. » (Lugdini, 1668, in-quarto, p.111)]

Pour entrer laquais chez lui, on donnoit dix pistoles au maître- d’hôtel. Jamais je n’ai vu un homme si vain ; il donnoit, mais c’étoit pour le dire. Sa plus grande joie étoit de tutoyer les grands seigneurs, qui lui souffroient toutes ces familiarités à cause qu’il leur faisoit bonne chère, et leur prêtoit de l’argent ; il étoit ravi quand il leur disoit : « Çà, çà, mes enfants, réjouissons- nous. » Mais c’étoit bien pis quand M. d’Orléans, car cela est arrivé quelquefois, où M. le Prince d’aujourd’hui (2) y alloient ; il étoit au comble de sa joie.

[(2) Le grand Condé.]

Une fois M. de Châtillon lui dit : « Mordieu ! monsieur, nous sommes tous des gredins au prix de vous. Faites-moi l’honneur de me prendre à vos gages, et je renonce à tout ce que je prétends de la cour. » Une fois qu’il ne dînoit point chez lui, Roquelaure et quelques autres y vinrent, et se firent servir à dîner comme s’il y eût été. Il ne se fâcha point, et dit qu’il vouloit que désormais on servît chez lui tant en absence qu’en présence. Il disoit insolemment : « Il est sur l’état de ma maison (3). »

[(3) Corneille a dédié Cinna à Montauron.]

Il avoit fait élever la fille qu’il eut de mademoiselle Louise, sa cousine germaine, comme une princesse, et il la vouloit marier tout de même que si elle eût été sa fille légitime. Une fois, en je ne sais quelle affaire de famille, M. de Dardanie fit passer mademoiselle de Montauron devant mademoiselle Margonne. On lui dit : « Mais celle-là n’est pas légitime. — Voire, dit-il, bâtarde pour bâtarde, encore celle-là est-elle l’aînée. »