Aller au contenu

Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

MADAME DE CAVOYE

Madame de Cavoye est fille de Sérignan, gentilhomme de qualité de Languedoc, qui fut maréchal de camp en Catalogne ; elle épousa en premières noces un gentilhomme, nommé La Croix, qui la laissa veuve fort jeune et sans enfants ; elle étoit jolie, spirituelle et assez riche. Cavoye, gentilhomme de Picardie, peu accommodé, mais de beaucoup de cœur, étoit à M. de Montmorency quand il en devint amoureux ; il n’avoit pas grande espérance de réussir en sa recherche, quand, ayant été pris pour second par un de ses amis, il alla chez un notaire faire un testament par lequel il donnoit à madame de La Croix tout ce qu’il pouvoit avoir au monde, et après alla dire à une amie commune qu’il venoit de rendre à madame de La Croix la plus grande marque d’amour qu’il lui pouvoit rendre ; qu’on trouveroit son testament chez tel notaire, qu’il s’alloit battre, et qu’il la supplioit d’assurer la belle que, s’il mouroit, il mourroit son serviteur ; et, après cela, s’en va. Cette femme court le dire à madame de la Croix, qui fit monter son père et tous ses amis à cheval. On cherche partout : on trouve que Cavoye avoit eu l’avantage. Elle fut si touchée de ce témoignage d’affection qu’elle l’épousa. Jamais femme n’a plus aimé son mari. Le cardinal de Richelieu le fit son capitaine des gardes.

Quand la cour n’étoit pas à Paris, elle avoit toujours une lettre dans sa poche pour son mari ; et des qu’elle entendoit dire que quelqu’un alloit à la cour, elle lui donnoit sa lettre ; celle-la partie, elle en alloit faire une autre ; et tel jour elle lui en a envoyé plus de trois. Un jour le cardinal lui demanda lequel elle aimoit le mieux de lui ou de son mari : « Monseigneur, répondit-elle, Votre Eminence ne