Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/360

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

résultent du mérite personnel, et d’une bonne éducation réunie à quelques avantages de la fortune ; aussi les financiers, simples bourgeois, malgré leurs richesses, avoient souvent à dévorer de pénibles humiliations. Les dames, nobles et titrées (1), ne dansoient pas volontiers avec un bourgeois ; elles accordoient tout au plus cet honneur à l’homme de robe, qui par sa charge commençoit à sortir de la bourgeoisie.

[(1) La femme d’un bourgeois s’appeloit toujours une demoiselle.]

Tallemant rapporte un exemple curieux de la rigueur de ces usages. Une madame Roger, fille d’un pauvre gentilhomme lorrain, n’avoit pas dédaigné de s’allier au fils d’un riche orfèvre de Paris ; elle soutenoit, il est vrai, que le père de son mari avoit dérogé, en faisant le commerce, et dans sa petite vanité elle réhabilitoit le fils de l’argentier. Cette dame, ayant une fille à marier, recevoit grande compagnie, et Tallemant étoit du nombre de ceux qu’elle invitoit. C’étoit l’usage alors que les jeunes gens donnassent les violons aux dames, c’est-à-dire que les uns après les autres ils faisoient les frais de la musique du bal. Quand ce vint au tour de des Réaux, la dame reçut sa politesse, avec une froideur marquée : « Je voyois bien à sa mine, dit Tallemant, qu’elle avoit quelque honte qu’un bourgeois lui donnât les violons. » Que l’on juge de la profonde impression que devoit faire sur le bourgeois, homme de cœur, des nuances si irritantes, quand chaque jour il avoit à souffrir les amertumes qui résultoient pour lui de ces usages humiliants ! Le ressentiment, très naturel à celui qui avoit la conscience de ce qu’il valoit, cette excitation perpétuelle de l’amour-propre du bourgeois humilié par le courtisan, se réunirent pour dicter à Tallemant le couplet qu’on va lire ; il ne s’en tint pas là, il écrivit ses Historiettes, et pour venger la bourgeoisie il immola souvent la noblesse à ses préventions exagérées

COUPLETS SUR L’AIR DE LA DUCHESSE.


Despechez vite de danser,

Nobles bourgeois, car voicy La Feuillade,