Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/374

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badiner et se plaisoit à être aimée ; mais cela alla plus loin qu’elle ne pensoit. L’abbé de Cérisy, un des plus beaux esprits du siècle, en étoit amoureux il y avoit plus de deux ans ; elle le souffroit, et il y étoit fort famillier en ce temps-là ; lui et trois autres frères qu’il avoit, dont l’un a eu une grande réputation pour la poésie (1).

[(1) Philippe Habert, auteur du Temple de la Mort. (M.)]

Ils étoient dans cette maison tous les jours et à toutes les heures. Deux autres beaux- esprits, Malleville et Gombauld, y venoient souvent l’après-dînée ; Rénevilliers n’en bougeoit : on s’y divertissoit assez bien.

L’abbé fut bientôt jaloux de moi ; aussi, pour dire le vrai, la veuve ne prenoit guère garde à tout ce qu’elle faisoit ; elle l’appeloit d’un bout de la chambre pour lui demander s’il ne trouvoit pas que le noir me séioit bien. Alors les jeunes gens ne prenoient pas le noir de si bonne heure qu’on fait maintenant. Un jour qu’elle étoit au lit, voyant qu’il n’y avoit plus de place dans la ruelle, elle me fit mettre dessus, et, pour cela, il fallut que le pauvre abbé se rangeât afin de me laisser passer. Le pis de tout, ce fut quand il la trouva, comme elle me mettoit des mouches sur des égratignures que m’avoit faites un impertinent de notre auberge, à qui j’avois donné un soufflet, pour quelque sottise qu’il avoit dite d’un de mes oncles. Un jour on me dit que l’abbé avoit parlé de moi comme d’un écolier ; je fis ce couplet sur un air qui couroit alors :

Mon rival, il est vrai, vous avez du mérite ;

Contre vous ma force est petite.

Vous en faites peut-être aussi trop peu d’état :

David étoit ainsi méprisé par Goliath.


Et puis, je le chantai à la belle, qui le trouva fort plaisant. Elle écrivit de sa main de méchants rondeaux que j’avois faits pour elle, car c’est l’amour qui m’a fait faire des vers, elle pour qui l’abbé avoit fait tant de belles choses. Elle et sa sœur n’étoient jamais d’accord ; elle lui dit une fois familièrement : « Sans moi, vous ne verriez pas une âme. » Il est vrai que sa sœur