Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/385

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M. Mestresat qui a fait là le lac de Genève (1).

[(1) Il étoit de Genève, et crachoit beaucoup. (T.)]

Je lui donnois fort souvent des vers ; mais, comme elle vit que j’en tenois, elle me fit une petite querelle pour ne m’appeler plus son mari ; j’entendis bien sa finesse, et fis semblant d’en être un peu alarmé. Comme elle logeoit fort loin, je ne la voyois pas bien à mon aise et fus ravi quand on parla de la faire loger auprès de M. de La Honville. Toute la difficulté étoit que, pour avoir la maison qu’on vouloit faire prendre à sa mère, il falloit perdre un quartier de celle qu’elle quittoit : la bonne femme ne pouvoit s’y résoudre. J’envoyai un de mes amis, qui loua cette maison sous main pour un quartier, disant qu’une dame de sa connoissance se trouvoit sur le carreau. Je trouvai moyen de le faire savoir à la belle, qui prit cela le mieux du monde, et fit pourtant en sorte qu’elle délogea sans qu’il en coûtât un sou, ni à sa mère, ni à moi, car elle persuada au propriétaire d’y aller loger lui-même. Mais je fus bien attrapé, car ses tantes, ses cousines étoient toujours avec elle, et je lui parlois dix fois moins que je ne faisois auparavant. Enfin elle se résolut, croyant n’avoir point d’enfants, d’épouser M. de Montlouet d’Angennes, parce qu’il n’en avoit point eu avec sa première femme ; elle n’en a eu que tous les ans. Il étoit de mes amis, et m’appeloit son pupille ; j’étois même le confident de ses amours, et j’ai quelquefois fait des vers pour lui. Elle fut longtemps cruelle jusqu’au mépris. « Hélas ! disois-je, le pauvre homme ! il ne fait que blanchir contre. » Il étoit trop vieux pour elle. Dès qu’il l’eut épousée, je résolus de ne plus penser à elle, et un jour je lui dis : « Je gage, madame, que vous avez brûlé tous les vers que je vous ai donnés. — Point, dit-elle ; je vous les montrerai encore tous. — Cela n’est plus bon à rien, lui dis-je ; vous êtes devenue la femme de mon ami : je vous conseille de les brûler, cela pourroit faire du désordre. » Elle vit pourquoi je le disois, et me répondit en rougissant : « On en fera ce que vous voudrez. » Je ne sais ce qui en est arrivé depuis, mais nous avons toujours bien de l’estime l’un pour l’autre.