Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/386

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Madame d’Harambure morte, je croyois que la veuve ne seroit plus si folle que par le passé ; mais ce fut encore pis que jamais. Elle étoit si extravagante sur ce chapitre qu’elle croyoit que je couchois avec toutes les femmes que je voyois. « Le moyen que les autres vous résistent, disoit-elle, si je ne vous ai pu résister ! » Enfin elle vint à un tel excès qu’elle m’accusoit de coucher avec ses sœurs ; elle en avoit deux, toutes deux laides, et qui me haïssoient comme la peste ; elle m’en accusoit aussi avec les miennes « Oui, disoit-elle, et je ne voudrois pas jurer que même vous épargniez vos tantes. — Mais comment est-ce donc que je fais  ? Car vous savez que je vous sers assez bien. — Ah ! répondit-elle, il n’y a jamais rien eu de si brutal, de si animal que vous ; vous avez une sensualité infatigable. » Elle me faisoit beaucoup plus d’honneur qu’à moi n’appartenoit.

Voici deux des plus plaisantes visions qu’elle ait eues. Madame Tallemant, la maîtresse des requêtes se blessa ; elle s’alla mettre dans l’esprit que cette femme étoit grosse de mon fait, et qu’ayant reconnu combien j’étois infidèle elle avoit mieux aimé se blesser que de mettre au jour l’enfant d’un si méchant homme. L’autre fut que mademoiselle de Mérouville, aujourd’hui la marquise de La Barre-Chivray, ayant eu la petite vérole, au retour d’un petit voyage de La Honville, où j’avois été avec elle, la veuve raisonna ainsi : « Il n’y a rien qui donne tant la petite vérole que l’émotion. Cette fille lui a tout accordé, cela l’a émue. » Si la moindre des trois personnes avec lesquelles elle disoit que je concubinois eût voulu me laisser faire, je l’eusse bien plantée là ; car elle ne me faisoit coucher qu’avec Lolo (1), madame du Candal et mademoiselle des Marais, aujourd’hui madame de Launay, sans compter madame de Louvigny et bien d’autres.

[(1) Une fois à La Honville, cette Lolo, car je badinois toujours, avoit les mains embarrassées à je ne sais quoi : je me mis à la baiser : « Eh ! que faites-vous  ? me dit- elle. — Je prends mon temps. » Depuis quand je la baisois, elle crioit : « Ma sœur, comme il prend son temps, venez vite ; il prend son temps. » Un jour que je lui baisois la main gauche finement elle la couvroit de la droite qui étoit nue. « Celle-là, lui dis-je, m’est tout aussi bonne que l’autre. » J’ai oublié bien des folies et bien des impromptus, et mille autres bagatelles. (T.)]