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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/52

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et il disoit, après avoir conté en trois mots la mort d’Abel : « Ne voilà-t-il pas un beau début ? Ils ne sont que trois ou quatre au monde, et ils s’entretuent déjà ; après cela, que pouvoit espérer Dieu des hommes pour se donner tant de peine à les conserver  ? »

Il parloit fort ingénument de toutes choses ; il ne faisoit pas grand cas des sciences, principalement de celles qui ne servent qu’à la volupté, au nombre desquelles il mettoit la poésie. Et comme un jour un faiseur de vers se plaignoit à lui qu’il n’y avoit de récompense que pour ceux qui servoient le Roi dans ses armées et dans les affaires d’importance, et que l’on étoit trop cruel pour ceux qui excelloient dans les belles-lettres, Malherbe lui répondit que c’étoit une sottise de faire le métier de rimeur, pour en espérer autre récompense que son divertissement ; et qu’un poète n’étoit pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles.

Etant allé avec feu du Monstier et Racan aux Chartreux pour voir un certain Père Chazerey, on ne voulut leur permettre de lui parler qu’ils n’eussent dit chacun un Pater ; après le Père vint et s’excusa de ne pouvoir les entretenir. « Faites-moi rendre mon Pater, » dit Malherbe.

Une fois il ôta les chenets du feu. C’étoient des chenets qui représentoient de gros satyres barbus : « Mon Dieu, dit-il, ces gros b… se chauffent tout à leur aise, tandis que je meurs de froid. »

Un de ses neveux le vint voir une fois, après avoir été neuf ans au collège. Il lui voulut faire expliquer quelques vers d’Ovide, de quoi ce garçon se trouvoit bien empêché. Après l’avoir laissé ânonner un gros quart d’heure, Malherbe lui dit : « Mon neveu, croyez-moi, soyez vaillant, vous ne valez rien à autre chose. »

Un gentilhomme de ses parents étoit fort chargé d’enfants ; Malherbe l’en plaignoit, l’autre lui dit qu’il ne pouvoit avoir trop d’enfants, pourvu qu’ils fussent gens de bien. « Je ne suis point de cet avis, répondit notre poète, et