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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/51

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sa vie et comme elle avoit résisté aux poursuites amoureuses du feu roi, Henri le Grand, il conclut son panégyrique par ces mots en la lui montrant : « Voilà, Monsieur, ce qu’a fait la vertu. » Malherbe, sans hésiter, lui montra la connétable de Lesdiguières, qui étoit assise auprès de la Reine, et lui dit : « Voilà, Monsieur, ce qu’a fait le vice. »

Sa façon de corriger son valet étoit plaisante. Il lui donnoit dix sols par jour, c’étoit honnêtement en ce temps-là, et vingt écus de gages ; et quand ce valet l’avoit fâché, il lui faisoit une remontrance en ces termes : « Mon ami, quand on offense son maître, on offense Dieu, et quand on offense Dieu, il faut, pour en obtenir le pardon, jeûner et donner l’aumône. C’est pourquoi je retiendrai cinq sous de votre dépense que je donnerai aux pauvres à votre intention, pour l’expiation de vos péchés. »

Tout son contentement étoit d’entretenir ses amis particuliers, comme Racan, Colomby, Yvrande et autres, du mépris qu’il faisoit de toutes les choses qu’on estimoit le plus dans le monde. Il disoit souvent à Racan, qui est de la maison de Bueil, que c’étoit une folie de se vanter d’être d’une ancienne noblesse ; que plus elle étoit ancienne, plus elle étoit douteuse ; et qu’il ne falloit qu’une femme lascive pour pervertir le sang de Charlemagne ne et de saint Louis, que tel qui se pensoit issu de ces grands héros étoit peut-être venu d’un valet de chambre ou d’un violon.

Il ne s’épargnoit pas lui-même en l’art où il excelloit, et disoit souvent à Racan : « Voyez-vous, mon cher Monsieur, si nos vers vivent après nous, toute la gloire que nous pouvons en espérer, c’est qu’on dira que nous avons été deux excellents arrangeurs de syllabes, et que nous avons été tous deux bien fous de passer toute notre vie à un exercice si peu utile et au public et à nous, au lieu de l’employer à nous donner du bon temps, et à penser à l’établissement de notre fortune. »

Il avoit un grand mépris pour tous les hommes en général,