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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/54

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Le feu archevêque de Rouen l’avoit prié à dîner pour le mener après au sermon qu’il devoit faire en une église proche de chez lui. Aussitôt que Malherbe eut dîne, il s’endormit dans une chaise, et comme l’archevêque le pensa réveiller pour le mener au sermon : « Hé ! je vous prie, dit-il, dispensez-m’en ; je dormirai bien sans cela. »

Quand les pauvres lui disoient qu’ils prieroient Dieu pour lui, il leur répondoit « qu’il ne croyoit pas qu’ils eussent grand crédit auprès de Dieu, vu le pitoyable état où il les laissoit, et qu’il eût mieux aimé que M. de Luynes, ou M. le surintendant, lui eussent fait cette promesse ».

En ce même hiver, il avoit une telle quantité de bas, presque tous noirs, que, pour n’en pas mettre plus à une jambe qu’à l’autre à mesure qu’il mettoit un bas, il mettoit un jeton dans une écuelle. Racan lui conseilla de mettre une lettre de soie de couleur à chacun de ses bas, et de les chausser par ordre alphabétique. Il le fit et le lendemain il dit à Racan : « J’en ai dans l’L, pour dire qu’il avoit autant de paires de bas qu’il y avoit de lettres jusqu’à celle-là. Un jour, chez madame des Loges, il montra quatorze tant chemise que chemisettes, ou doublure. Tout l’été il avoit de la panne, mais il ne portoit pas trop régulièrement son manteau sur les deux épaules. Il disoit, à propos de cela que Dieu n’avoit fait le froid que pour les pauvres ou pour les sots et que ceux qui avoient le moyen de se bien chauffer et de se bien vêtir ne devoient point souffrir le froid.

Quand on lui parloit d’affaires d’État, il avoit toujours ce mot à la bouche qu’il a mis dans l’Épître préliminaire de Tite-Live, adressée à M. de Luynes, qu’il ne faut point se mêler de la conduite d’un vaisseau où l’on n’est que simple passager.

Une fois, étant malade, il envoya quérir Thévenin, l’oculiste, qui étoit à M. de Bellegarde. Thévenin lui proposa de faire venir quelque médecin, et lui ayant nommé M. Robin : « Voilà un plaisant Robin, dit Malherbe, je ne