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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/56

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de Rouen. Il vint à la cour et fut porté par Desportes, et après par le cardinal du Perron. Ses vers étoient médiocres, mais il avoit assez de feu ; sa prose, à tout prendre, valoit mieux. Il savoit et avoit de l’esprit ; il a eu en un temps toute la vogue qu’on sauroit avoir.

Henri IV le fit précepteur de M. le Dauphin, après qu’il eut été précepteur de M. de Vendôme. Il s’est plaint qu’on ne vouloit pas qu’il fît du feu Roi un grand personnage. Durant la régence on lui ôta cette place par intrigue ; peut-être la plainte que le clergé fit contre lui, et qui est imprimée dans les Mémoires ensuite de ceux de M. de Villeroi, y servit-elle.

On l’a accusé de ne croire que médiocrement en Dieu. Je ne lui ai pourtant jamais ouï dire d’impiétés. Il est vrai que je ne l’ai connu que deux ans avant qu’il mourût. On l’accusoit aussi d’aimer les garçons. Pour les femmes, il les a aimées jusqu’à la fin, et a toujours mené une vie peu exemplaire. Il passoit pour médisant et pour aimer le vin. Quelquefois il étoit longtemps sans parler. On dit que Pluvinel et lui firent un voyage de Paris à Nantes et en revinrent, jouant toujours aux échecs, sans se dire mot pour cela. Ils avoient une machine dans le carrosse.

Il disoit que les courtisans appeloient bon temps le temps où les pensions étoient bien payées.

Etant disgracié, il acheta une maison dans la rue des Marais, au faubourg, Saint- Germain, vers les Petits- Augustins. En ce temps-là il n’y avoit rien de bâti au-delà dans le faubourg ; on l’appeloit, à cause de cela, le dernier des hommes. Cette maison a l’honneur d’être aussi extravagamment disposée que maison de France. Le grand jardin qu’il y joignit, et auquel on va par une voûte sous terre, est à peu près fait de même. Il se mit à faire là-dedans une vie voluptueuse. mais cachée : c’étoit comme une espèce de grand seigneur dans son sérail. En pensions, en bénéfices et en argent, il avoit beaucoup de bien, et pouvoit vivre fort à son aise.