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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/88

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Pensez que l’huissier ne le laissoit pas gratter deux fois. Le Roi et M. le Grand parloient dans la ruelle. Brezé entend, sans être vu, que M. le Grand disoit le diable du cardinal. Il se retire ; il consulte en lui-même. Il n’avoit pas encore vingt-deux ans ; il avoit peur de n’être pas cru. Il se résout de suivre le Roi à la chasse le plus souvent qu’il pourroit, et s’il trouvoit M. le Grand à l’écart, de lui faire mettre l’épée à la main. Une fois il le trouva assez à propos ; mais voyant venir un chien, il crut qu’il y auroit des gens après. Le lendemain le cardinal lui ordonna de partir le jour suivant. Il fut deux jours caché, faisant travailler à son équipage. L’Eminentissime le sut, l’envoya quérir, et le malmena. Enfin, le jeune homme, ne sachant plus que faire, va trouver M. de Noyers, et lui dit ce qu’il avoit eu dessein de faire. M. de Noyers lui dit : « Monsieur. ne partez point encore demain. » Le cardinal, averti de tout, le mande, le remercie de son zèle, et le fait partir après lui avoir dit qu’il y mettroit ordre.

Dans le voyage les choses s’aigrirent. Le cardinal vouloit qu’on chassât M. le Grand. Le Roi ne le vouloit pas, à cause que le cardinal le vouloit ; non, comme vous allez voir, qu’il aimât encore M. le Grand. L’Eminentissimme se retire à Narbonne, sous prétexte de son mal, et laisse Fabert, capitaine aux gardes, mais qui étoit bien dans l’esprit du Roi, et à qui le Roi avoit même dit un jour qu’il se vouloit servir de lui pour se défaire du cardinal. On l’avoit choisi comme un homme de cœur et un homme de sens. M. de Thou sonda un jour Fabert pour lui faire prendre le parti de M. le Grand. Fabert lui fit sentir qu’il en savoit bien des choses, et le pria de ne lui rien dire qu’il fût obligé de découvrir. « Mais vous n’avez, lui dit l’autre, aucune récompense ; vous avez acheté votre compagnie aux gardes. — Et vous, répondit Fabert, n’avez-vous point de honte d’être comme le suivant d’un jeune homme qui ne fait que sortir de page  ? Vous êtes dans un plus mauvais pas que vous ne pensez. »