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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/89

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Or, voici comment on découvrit que le Roi n’aimoit plus M. le Grand. Un jour, en présence du Roi, on vint à parler de fortifications et de sièges. M. le Grand disputa longtemps contre Fabert, qui en savoit un peu plus que lui. Le feu Roi lui dit : « Monsieur le Grand, vous avez tort, vous qui n’avez jamais rien vu, de vouloir l’emporter contre un homme d’expérience, » et ensuite dit assez de choses à M. le Grand sur sa présomption, puis s’assit. M. le Grand lui alla dire sottement : « Votre Majesté se seroit bien passée de me dire tout ce qu’elle m’a dit. » Alors le Roi s’emporta tout-à-fait. M. le Grand sort, et en s’en allant il dit tout bas à Fabert : « Je vous remercie, Monsieur Fabert, » comme l’accusant de tout cela. Le Roi vouloit savoir ce que c’étoit. Fabert ne le lui voulut jamais dire. « Il vous menace peut-être  ? dit le Roi. — Sire, on ne fait point de menaces en votre présence, et ailleurs on ne le souffriroit pas. — Il faut vous dire tout, Monsieur Fabert, il y a six mois que je le vomis (ce sont les propres termes du Roi). Mais pour faire croire le contraire, et qu’on pensât qu’il m’entretenoit encore après que tout le monde étoit retiré, continua le Roi, il demeuroit une heure et demie dans la garde-robe à lire l’Arioste. Les deux premiers valets de garde-robe étoient à sa dévotion. Il n’y a point d’homme plus perdu de vices, ni si peu complaisant. C’est le plus grand ingrat du monde. Il m’a fait attendre quelquefois des heures entières dans mon carrosse, tandis qu’il crapuloit. Un royaume ne suffiroit pas à ses dépenses. Il a, à l’heure que je vous parle, jusqu’à trois cents paires de bottes. » La vérité est que M. le Grand étoit las de la ridicule vie que le Roi menoit, et peut-être encore plus de ses caresses. Fabert donna avis de tout cela au cardinal. M. de Chavigny, qu’il envoya trouver Fabert, ne pouvoit croire ce qu’il entendoit. Cela donna courage au cardinal, qui, voyant qu’après cela M. le Grand faisoit toujours bonne mine, conjectura qu’il y avoit quelque grande cabale qui le