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tenant avec lui du dessein qu’ils avoient de choisir quelque dame de mérite et de qualité pour être le sujet de leurs vers, Malherbe nomma madame la marquise de Rambouillet, et lui madame de Termes qui étoit alors veuve[1]. Il se trouva que toutes deux avoient nom Catherine, l’une Catherine de Vivonne, et l’autre Catherine Chabot. Le plaisir que prit Malherbe en cette conversation lui fit venir l’envie d’en faire une églogue ou entretien de bergers sous les noms de Mélibée pour lui et d’Arcan pour Racan. Il lui en a récité plus de quarante vers. Cependant on n’en a rien trouvé parmi ses papiers.

Le jour même qu’il fit le dessein de cette églogue, craignant que ce nom d’Arthenice, s’il servoit pour deux personnes, ne fît de la confusion dans cette pièce, il passa toute l’après-dînée avec Racan à retourner ce nom-là. Ils ne trouvèrent que Arthénice, Eracinthe et Carinthée. Le premier fut jugé le plus beau ; mais Racan s’en étant servi dans la pastorale qu’il fit peu de temps après, Malherbe laissa les deux autres et prit Rodanthe.

Madame de Rambouillet dit qu’elle n’a jamais ouï parler de Rodanthe[2], mais qu’un jour Malherbe lui dit : « Ah ! madame, si vous étiez femme à faire faire des vers, j’ai trouvé le plus beau nom du monde en tournant le vôtre. » Elle ajoute que quelque temps après il lui dit qu’il étoit fort en colère contre Racan,

  1. Racan a aimé madame de Moret, sa parente, car on voit dans ses vers qu’il parle de cet œil qu’elle perdit ou qu’elle feignit d’avoir perdu. Voyez l’Historiette de madame de Moret. (T.)
  2. On lit dans les Œuvres de Malherbe une chanson adressée à la marquise de Rambouillet, sous le nom de Rodanthe, pag. 234 de l’édition déjà citée.