Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/218

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Étant disgracié, il acheta une maison rue des Marais, au faubourg Saint-Germain, vers les Petits-Augustins. En ce temps-là, il n’y avoit rien de bâti au-delà dans le faubourg ; on l’appeloit, à cause de cela, le dernier des hommes. Cette maison a l’honneur d’être aussi extravagamment disposée que maison de France. Le grand jardin qu’il y joignit, et auquel on va par une voûte sous terre, est à peu près fait de même. Il se mit à faire là dedans une vie voluptueuse, mais cachée : c’étoit comme une espèce de Grand-Seigneur dans son sérail. En pensions, en bénéfices et en argent, il avoit beaucoup de bien et pouvoit vivre fort à son aise.

À son ordinaire, il s’habilloit fort bizarrement. Madame de Rambouillet dit que la première fois qu’elle le vit, il avoit des chausses à bandes, comme celles des Suisses du Roi, rattachées avec des brides ; des manches de satin de la Chine, un pourpoint et un chapeau de peaux de senteurs, et une chaîne de paille à son cou ; et il sortoit en cet habit-là. Il est vrai qu’il ne sortoit pas souvent ; mais quelquefois, selon les visions qui lui prenoient, tantôt il étoit vêtu en satyre, tantôt en berger, tantôt en dieu, et obligeoit sa nymphe à s’habiller comme lui. Il représentoit quelquefois Apollon qui court après Daphné, et quelquefois Pan et Syrinx. À cause qu’il devint amoureux de madame Du Pin[1], mère de madame d’Estrades, au lieu de culs-de-lampes, il fit mettre des pommes de pin dorées à son plancher. Il y a des festons et des lacs d’a-

  1. Marguerite de Burtio de la Tour, femme de Jacques de Lallier, seigneur Du Pin. Marie de Lallier, sa fille, épousa en 1637 le comte d’Estrades, qui fut créé maréchal de France en 1675.