Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/292

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taut, mère de madame de Mauteville[1], qui fut fort jeune en Espagne, quand on y mena madame Élisabeth de France), on m’a conté qu’un grand seigneur d’Espagne traita le Roi et la Reine sous des tentes magnifiques, et tapissées par dedans des plus belles tapisseries du monde, en un vallon fort agréable où la cour devoit passer, et qu’après que le Roi et la Reine furent partis, on entendit un grand bruit. C’étoit qu’on crioit au feu, car ce seigneur avoit mis le feu à tout ce qui avoit servi à cette magnificence, comme s’il eût cru profaner les mêmes choses en les faisant servir à d’autres. Philippe II, qui avoit une jeune femme et qui étoit fort soupçonneux, crut aussitôt qu’il y avoit de l’amour sur le jeu. Pour s’en éclaircir, à un jeu de canes, il demanda à la Reine, quel de tous les seigneurs de sa cour qui s’exerçoient à ce jeu, lui sembloit faire le mieux. « C’est, lui dit-elle, celui qui a de si grandes plumes. » C’étoit le même. Le Roi répondit : « Pue de ben tener alas, per que buela muy alto[2]. » Cela servit apparemment, avec autre chose, à la faire empoisonner.

    qui fit naître chez le comte cette passion si espagnole. C’est dans son propre palais que ce seigneur, que Tallemant nous fait, le premier, bien connoître, avoit reçu la reine et la cour. C’est sa propre habitation et les riches ornements qui la décoroient que Villa-Medina livra aux flammes pour tenir la Reine embrassée. La Fontaine a dit à son sujet (liv. IX, fable 15) :

     J’aime assez cet emportement ;
    Le conte m’en a plus toujours infiniment :
     Il est bien d’une âme espagnole,
     Et plus grande encore que folle.

  1. Véritable orthographe du nom de l’auteur des Mémoires pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche, qu’on écrit plus souvent Motteville. (Voir la Biographie universelle, tom. XXX, p. 293.)
  2. « Il peut bien avoir des ailes puisqu’il vole si haut. »