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voir sa belle-fille grosse. Elle fut quelque temps sans le devenir, et enfin elle s’avisa de feindre qu’elle l’étoit, peut-être pour tirer quelque chose du bon homme. Car, comme vous verrez, c’étoit et c’est encore une assez plaisante créature. On fit toutes les façons imaginables de peur qu’elle ne se blessât, et comme elle fut au neuvième mois, on dit tout d’un coup : « Madame de Pisieux n’est plus grosse, mais madame de Clermont d’Entragues, qu’on ne disoit point être grosse, est accouchée. » Voilà une assez plaisante rencontre. Effectivement, cette dernière ne s’en douta point, jusqu’à ce que, sentant les tranchées (c’étoit d’un premier enfant), elle crut avoir la colique, et envoya quérir un apothicaire pour se faire donner un lavement. Mais cet homme ayant voulu savoir où étoit son mal, reconnut ce que c’étoit. Elle se moquoit de lui, le mari arrive ; l’apothicaire lui dit que sa femme étoit prête à accoucher. Le voilà bien étonné ; il envoie quérir une sage-femme, et madame de Clermont accouche d’un enfant bien formé et bien venu.

Madame de Pisieux a été belle, mais toujours extravagante. Son beau-père et son mari ont été tous deux ministres d’État, et quoiqu’en ce temps-là on ne fît pas de si prodigieuses fortunes qu’on a fait depuis, leur maison ne laissa pas de devenir puissante. Cette femme cependant ne put s’abstenir de faire l’amour par intérêt. Elle se donna à Morand, trésorier de l’Épargne. Cet homme étoit fils d’un sergent de Caen. Elle le porta à acheter la charge de trésorier de l’ordre qu’avoit M. de Pisieux[1], et ce bon homme disoit : « M. Mo-

  1. Le cordon demeura à Pisieux. (T.)