Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/102

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de chimères pour contrecarrer celles de Renaudot[1], qui commençoient à avoir cours. On aimoit bien mieux la Gazette de Sauvage que l’autre. Outre cela, tous les jours, pour se divertir, il faisoit quelque imposture. Ce fut lui qui fit graver la figure d’un poisson qu’il appeloit la carpe adriatique, dans le corps duquel on avoit trouvé, à ce que disoit l’écrit, je ne sais combien de mousquets, des hallebardes, des croix, etc. Cela courut par toute la France. La dernière imposture qu’il ait faite, ç’a été un arrêt du Parlement de Grenoble, par lequel un enfant étoit déclaré légitime, quoique la mère confessât l’avoir conçu durant l’absence de son mari, et cela par la force de l’imagination, en songeant qu’il habitoit avec elle. Les noms y étoient, et aussi ceux des médecins et de la sage-femme. Assez de bonnes gens le crurent. C’étoit le vrai style de Grenoble. Le procureur général de Paris écrivit à celui de Grenoble touchant cet arrêt, et ce Parlement-là en donna un contre l’auteur, dont celui-ci se moqua. Dans les écoles de médecine, on agita la question à savoir si la force de l’imagination pouvoit suffire pour faire concevoir. Il faisoit aussi quelquefois des Gazettes de raillerie, comme une où il disoit : « Ce Dieu de la Charente qui apparut à Balzac est arrivé ici, aussi peu Dieu que jamais. »

Bien des fois il a pris les devants, et il se mettoit à chanter sous l’orme, dans les villages, quand Monsieur passoit.

  1. Médecin, fondateur de la Gazette de France, établie en 1631, et continuée par lui jusqu’à sa mort, en 1653. Barbier, dans le Dictionnaire des Anonymes, dit que le généalogiste d’Hozier, ami de Renaudot, étoit de moitié avec lui dans l’idée et dans l’exécution de ce Journal.