Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/110

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cun ne savoit que lui dire. « Eh quoi, leur dit-il, croit-on que je sois devenu sauvage, pour avoir passé par les bois ? » Il n’a jamais pu s’empêcher de médire ; et comme les chiens ne mordent guère sans avoir des coups de bâton, le pauvre Bautru ne manqua pas d’en avoir, car il n’eut pas la discrétion d’épargner M. d’Épernon. S’il n’a dit que ce que j’en ai ouï dire, je trouve le mot assez méchant pour mériter quelque correction, mais non pas si rude. Il y avoit un vieil Espagnol à la cour qu’on appeloit Gilles de Metz (un de ces Espagnols qui furent chassés avec Antonio Pérez) ; Bautru disoit : « N’est-ce pas une chose étrange que Gilles de Metz passe pour si vieux ? M. d’Épernon est son père, car on sait bien qu’il a fait Gilles de Metz[1]. » Les Simons (c’étoient les donneurs d’étrivières de chez M. d’Épernon) l’étrillèrent comme il faut. Quelque temps après, un de ces satellites, en passant auprès de lui, se mit à le contrefaire comme il crioit quand on le battoit. Bautru ne s’en déferra point, et dit : « Vraiment, voilà un bon écho, il répond long-temps après. » Bautru alla voir la Reine, et il avoit un bâton. « Avez-vous la goutte ? lui dit-elle. — Non, madame. — C’est, dit le prince de Guémenée, qu’il porte le bâton comme saint Laurent porte son gril : c’est la marque de son martyre[2]. »

  1. C’est-à-dire que le duc d’Épernon, gouverneur de Metz, avoit quitté cette ville sans dire mot, craignant les suites des vexations qu’il avoit fait souffrir au peuple. Le proverbe faire Gille est interprété dans ce sens dans le Dictionnaire étymologique de Ménage, édition de 1750.
  2. Le manuscrit offre ici cette variante qui, à la vérité, a été ratu-