Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/123

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vant lui. » De Niert[1], qui le sut, en fit bien rire le Roi. Le cardinal n’en rit et n’y prit nullement plaisir. L’abbé de Beaumont s’en prévalut pour faire chasser Maugars. Le cardinal, en le payant, lui dit : « Dites de moi tout ce que vous voudrez, je ne m’en soucie point ; mais si vous parlez du Roi, je vous ferai mourir sous le cotret. »

Je l’ai vu depuis à Rome. À la naissance de M. le Dauphin, il joua devant le pape (Urbain VIII), et disoit que Sa Sainteté s’étonnoit qu’un homme comme lui puisse être mal avec quelqu’un. Il vint dire sottement, en présence de la maréchale d’Estrées (ambassadrice à Rome), qu’il avoit vu, à Notre-Dame du Puy, en Auvergne, la plus belle relique du monde, le sacré saint prépuce de notre Seigneur. Feu mademoiselle de Thémines, sa fille, qui y étoit, dit : « Qu’est-ce que le saint prépuce, madame ? — Taisez-vous, ma fille, répondit la mère, vous êtes une sotte. »

Maugars ne voulut jamais jouer, à la prière du maréchal d’Estrées, devant un seigneur Horatio, qui jouoit fort bien de la harpe, et qui étoit à M. de Savoie[2]. Cela fâcha le maréchal ; et il lui alloit faire donner des coups de bâton, si Quillet ne lui eût repré-

  1. Célèbre chanteur, valet-de-chambre de Louis XIII et de Louis XIV. La Fontaine lui adressa en 1677 l’Épître qui commence par ces vers :

    Niert, qui, pour charmer le plus juste des rois,
    Inventa le bel art de conduire la voix, etc.

  2. Maugars parle en ces termes de ce seigneur Horatio, dans le Discours sur la musique d’Italie cité au commencement de cet article : « Celui qui tient le premier lieu pour la harpe, est ce renommé Horatio, qui s’étant rencontré dans un temps favorable à l’harmonie, et ayant trouvé le cardinal de Montalte sensible à ses accords, s’est tiré hors du pair, bien plus par cinq ou six mille écus de rente que cet esprit harmonique lui a libéralement donnés, que par son bien jouer et sa suffisance. Je ne veux pas pourtant affoiblir la louange qu’il a méritée, puisque nous ne pouvons pas toujours être ce que nous avons été, et que l’âge nous assoupit peu à peu les sens, et nous dérobe insensiblement ces gentillesses et ces mignardises, et particulièrement cette agilité des doigts que nous ne possédons que pendant notre jeunesse ; ce qui a donné lieu aux anciens de peindre toujours Apollon jeune et vigoureux. » (Page 163 du Recueil déjà cité.)