Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/122

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Étant dans ce pays-là, il traduisit en françois je ne sais quel traité anglois de Bâcon[1]. Un jour il tenoit une lettre dans la chambre du cardinal, afin qu’il lui demandât ce que c’étoit. « Que tenez-vous là, monsieur Maugars ? — Monseigneur, dit-il en la serrant, ce n’est rien. — Montrez, montrez. — Monseigneur, ma modestie ne sauroit souffrir que je vous fasse entendre les louanges excessives que donnent à une malheureuse traduction que j’ai faite mon cousin Ogier le Danois et mon cousin de Richelieu. — Ah, monsieur Maugars, dit le cardinal, je ne pensois pas avoir l’honneur de vous appartenir. — Monseigneur, c’est un avocat au parlement, homme illustre, et qui ne déshonore point ce nom-là. — Lisez donc. » Il se met à lire des louanges par-dessus les maisons. Le cardinal se douta que cela n’y étoit point, puis il le voyoit hésiter. Il fit signe à Boisrobert ; Boisrobert lui ôte la lettre, et la porte au cardinal. Il n’y avoit rien, sinon : « J’ai reçu la traduction de votre cousin Maugars, je la lirai quand j’en aurai le loisir. — Ah, ah, monsieur Maugars, dit le cardinal, vous jouez de ces tours-là. — Monseigneur, s’il ne l’a dit, il le devoit dire. » Cette fichue traduction l’avoit pourtant fait secrétaire-interprète de la langue angloise.

Un jour M. le cardinal lui ayant ordonné de jouer avec les voix en un lieu où étoit le Roi, le Roi envoya dire que la viole emportoit les voix. « Maugré bien de l’ignorant ! dit Maugars, je ne jouerai jamais de-

  1. Maugars a traduit de Bâcon les deux ouvrages suivants : Le Progrès et Avancement aux sciences divines et humaines ; Paris, 1624, in-12 ; Considérations politiques pour entreprendre la guerre contre l’Espagne ; Paris, 1634, in-4o.