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Charenton[1] ; mais elle avoit honte d’en avoir et que mademoiselle Anne de Rohan n’en eût pas. Elle alla donc parler à madame de Rohan la jeune dans sa place à Charenton, et lui dit : « Madame, il y a long-temps que j’ai quelque chose à vous dire. Cela est honteux que M. le maréchal de Gassion ait un tombeau, et que mademoiselle votre tante n’en ait point, elle qui étoit, sans comparaison, de meilleure maison que lui : faites-lui-en faire un. » Madame de Rohan, au lieu de rire de cela, comme eût fait sa mère, lui répondit d’un ton aigre : « Mademoiselle, de quoi vous mêlez-vous ? Ma tante a voulu être enterrée dans le cimetière, et, s’il falloit que je fisse faire des tombeaux à tous mes parents, vraiment je n’aurois pas besogne faite. » La pucelle s’en plaignit à tout le monde : « Voyez, quelle fierté ! disoit-elle ; je veux bien qu’elle sache que je suis aussi bien demoiselle qu’elle est dame ! »

À propos de tombeau, elle avoit fait faire une bière de menuiserie la mieux jointe qu’il y eût au monde, car, disoit-elle sérieusement, je ne veux point sentir le vent coulis. Elle fait elle-même un drap mortuaire de satin blanc brodé pour ses funérailles, en intention de le donner à l’église pour servir à toutes les filles, et elle gardoit, depuis je ne sais combien de temps, trois douzaines de petits cierges ou chandelles dorées pour ses funérailles. Regardez quelle vision pour une huguenote. Il lui fallut promettre qu’on les porteroit à son enterrement ; mais ce fut dans un carrosse, et on ne les en tira pas, comme vous pouvez penser.

  1. En 1649. (T.)