Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il dit qu’il auroit inventé la musique de lui-même, si elle n’avoit été inventée. En effet, il a appris à jouer de la mandore[1], et en jouoit admirablement bien, à ce qu’on m’a dit ; mais comme cet instrument n’est plus guère en usage, il l’a laissé là ; auparavant même il falloit bien des cérémonies pour le faire jouer.

Madame de Rambouillet l’appeloit le beau Ténébreux. J’ai dit qu’il étoit cérémonieux. Madame de Rambouillet se repentit de l’avoir mené[2] en une promenade à Lisy, à Monceaux et ailleurs ; car il falloit livrer bataille toutes les fois qu’on se mettoit à table ou qu’on montoit en carrosse. En effet, il est très-incommode sur ce chapitre-là, et croit avoir dit une belle chose quand il a répondu à ceux qui lui disent qu’il est trop cérémonieux : « Ce n’est pas que je le sois trop, mais c’est qu’on ne l’est pas assez à présent. »

À table, il seroit plutôt tout un jour à frotter sa cuillère que de toucher le premier au potage. Je sais toutes ses façons, car je l’ai mené et le mène encore quand je puis à Charenton. Il ne vouloit point se mettre dans le fond, parce que, disoit-il, les gueux le prendroient pour le maître du carrosse. Il a une chose bonne dans sa cérémonie, c’est qu’il ne se fait jamais attendre ; mais il est si peu comme les autres gens, et il vous embarrasse tellement par la peur de vous embarrasser,

  1. C’étoit une espèce de petit luth à quatre cordes. (Dictionnaire de Trévoux.)
  2. Chez M. de Montlouet d’Angennes. On verra sa manière de conversation par ce que M. de Montlouet m’a dit : « Gombauld disoit que c’étoit le pays du diable, à cause que la rivière s’appelle Ourque, Orcus ; Cussy là auprès, c’est le Cocyte, parce qu’il y a une terre qui se nomme Averne. » (T.)