Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/66

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grand plaisir d’avoir affaire à lui. Il a tyrannisé et tyrannise encore tous ceux sur qui il a quelque pouvoir. Il a fait battre des gens, il en a fait jeter par les fenêtres. Il a fait interdire les officiers qui n’ont pas jugé à sa fantaisie ; il a fait affront à ceux dont les femmes n’étoient pas allées assez tôt voir la sienne. Enfin, c’est un diable d’homme. Mais il n’est pas si méchant à ceux qui sont mal endurants. Il est fanfaron, comme je l’ai déjà dit, et pourtant il ne le veut pas paroître. À Gravelines, il avoit la goutte, et alloit sur un fort petit bidet à la tranchée ; le jour qu’on l’ouvrit, il y alla sans nécessité, et se tint quelque temps à découvert sur un rideau. On lui tira vingt volées de canon, et un boulet fut si près, que son cheval en fut effrayé. Les officiers le prièrent de se retirer : « Quoi ! vous avez peur ? leur dit-il. — Nous avons peur pour vous, monsieur, lui répondirent-ils. — Pour moi, oh ! ce n’est point à un général d’armée, et encore moins à un maréchal de France, d’avoir peur. »

Au siége de Perpignan, il envoya à don Florès d’Avila, gouverneur de la place, des noix confites pour lui réconforter le cœur, à cause de la faim qu’il enduroit. L’autre lui envoya deux capes à l’espagnole, fourrées d’hermine, pour lui signifier qu’il se morfondoit devant cette place.

Voici ce que j’ai appris des deux sœurs de la maréchale. L’aînée, toute princesse romaine qu’elle étoit, et prétendant le tabouret chez la Reine, devint amoureuse d’un gros homme qui n’étoit plus jeune, et qui étoit de fort basse naissance, et, de plus, réfugié, de peur de ses créanciers. C’étoit un nommé Sabattier, à qui le cardinal de Richelieu, le croyant fort riche, fit