Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit M. le comte. — Monsieur, reprit Barradas, je ne veux point avoir affaire à Monsieur. » Cela se sut. Barradas eut ordre de se retirer à Avignon, et y obéit.

Le soin qu’on avoit eu d’amuser le Roi à la chasse[1] servit fort à le rendre sauvage. Mais cela ne l’occupa pas si fort qu’il n’eût tout le loisir de s’ennuyer. Il prenoit quelquefois quelqu’un, et lui disoit : « Mettons-nous à cette fenêtre, puis ennuyons-nous, ennuyons-nous ; » et il se mettoit à rêver. On ne sauroit quasi compter tous les beaux métiers qu’il apprit, outre tous ceux qui concernent la chasse ; car il savoit faire des canons de cuir, des lacets, des filets, des arquebuses, de la monnoie, et M. d’Angoulême lui disoit plaisamment : « Sire, vous portez votre abolition avec vous. » Il étoit bon confiturier, bon jardinier ; il fit venir des pois verts, qu’il envoya vendre au marché. On dit que Montauron[2] les acheta bien cher, car c’étoient les premiers venus. Montauron acheta aussi, pour faire sa cour, tout le vin de Ruel du cardinal de Richelieu, qui étoit ravi de dire : « J’ai vendu mon vin cent livres le muid. »

Le Roi se mit à apprendre à larder. On voyoit venir

  1. Une fois qu’il dansoit je ne sais quel ballet de la Chasse aux Merles, qu’il aimoit tendrement, et qu’il avoit nommée la Merlaison, un M. de Bourdonné, qui connoissoit M. Godeau, depuis évêque de Grasse, à cause qu’il est voisin de Dreux, d’où est ce prélat, lui écrivit : « Monsieur, sachant que vous faites joliment des vers, je vous prie de faire les vers du ballet du Roi dont j’ai l’honneur d’être, et d’y mettre souvent le mot de Merlaison, parce que Sa Majesté l’aime. » M. Godeau est encore à faire ces vers. (T.)
  2. Montauron étoit parent de Tallemant ; on lira plus loin son Historiette.