Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

car il n’y avoit que lui qui valût quelque chose. Il avoit du cœur. Il s’étoit battu, et fort bien, contre Du Dognon, aujourd’hui le maréchal Foucault. Il avoit de l’esprit, et étoit fort bien fait de sa personne. Son aîné est mort fou ; cet aîné faisoit des semelles de souliers des plus belles tapisseries de Chilly, et l’abbé est fort peu de chose, quoiqu’il ait assez d’esprit.

La plus grande amour de M. le Grand en ce temps-là, c’étoit Chemerault, aujourd’hui madame de La Bazinière. Elle étoit alors en religion à Paris. Elle avoit été chassée à cause de lui[1], et enfin on l’envoya en Poitou. Un soir à Saint-Germain il rencontra Rumigny, et lui dit : « Suivez-moi, il faut que je sorte pour aller parler à Chemerault. Il y a un endroit des fossés par où je prétends passer : on m’y attend avec deux chevaux. » Ils sortent ; mais le palefrenier s’étoit endormi à terre, et on lui avoit pris ses deux chevaux. Voici M. le Grand au désespoir. Ils vont dans le bourg pour tâcher d’avoir d’autres chevaux, et ils aperçoivent un homme qui les suivoit de loin. C’étoit un chevau-léger de la garde, le plus grand espion qu’eût le Roi pour M. le Grand. M. le Grand l’ayant reconnu, l’appelle et lui parle. Cet homme leur vouloit faire accroire qu’ils s’alloient battre. Il lui protesta que non. Enfin cet homme se retira. Rumigny conseilla à M. le Grand de s’en retourner, de peur d’irriter le Roi, de se coucher, et, à deux heures de là, d’envoyer prier quelques officiers de la garde-robe de le venir entretenir, parce qu’il ne pouvoit dormir ;

  1. De chez la Reine, comme on l’a vu précédemment dans l’Historiette du maréchal de Brézé.