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qu’ainsi il ôteroit pour un temps la créance à ses espions, car on ne manqueroit pas le lendemain de dire au Roi qu’il étoit sorti. M. le Grand crut ce conseil. Le lendemain, le Roi lui dit : « Ah ! vous avez été à Paris ? » Lui, produit ses témoins. L’espion fut confondu, et il eut le loisir de faire trois voyages nocturnes à Paris.

Pour dire le vrai, la vie que le Roi lui faisoit faire étoit une triste vie. Le Roi vraisemblablement fuyoit le monde et surtout Paris, parce qu’il avoit honte de la calamité du peuple. On ne crioit presque point vive le Roi quand il passoit ; mais il n’étoit pas capable de mettre ordre à rien. Il ne s’étoit réservé que le soin de pourvoir aux compagnies du régiment des gardes et des vieux corps, et étoit jaloux de cela plus que de toute autre chose. On a remarqué que le Roi aimoit tout ce que M. le Grand haïssoit, et que M. le Grand haïssoit tout ce que le Roi aimoit. Ils ne s’accordèrent qu’en une chose, c’est à haïr le cardinal. J’ai déjà dit ailleurs toute cette histoire[1].

N.[2] dit à Esprit, au retour de Savoie à Lyon, que M. le cardinal ne vivroit pas long-temps, à cause qu’il avoit fait fermer son charbon. Par propreté, il fit cette extravagance-là. Le voilà à Ruel, où la Reine l’alla voir. Il n’osoit aller à Saint-Germain, et le Roi n’osoit aller à Ruel. Il entreprit de gagner Guitaud, car, outre Tréville, Guitaud, Tilladet, Des Essarts, Castelnau, et La Salle, capitaines aux gardes, étoient des gens qu’il

  1. Voyez l’Historiette du cardinal de Richelieu pour la conspiration de Cinq-Mars et le récit de sa mort.
  2. Ce nom est illisible dans le manuscrit ; l’initiale paroît être un J, mais encore elle est douteuse.