Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/293

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femme n’a souffert tant d’indignités d’un mari, et jamais femme ne les a supportées avec tant de patience.

Coustenan n’étoit pas seulement méchant, il est aussi extravagant. La nuit il lui prenoit à toute heure des visions : tantôt il lui disoit que sans doute elle le faisoit cocu ; que cela ne se pouvoit autrement, puisqu’elle étoit fille de cette p..... de la Gravelle[1] ; tantôt il vouloit la forcer à le lui confesser, et quelquefois à minuit il l’a mise en chemise à la porte. Un jour, comme elle étoit en mal d’enfant, il lui mit le poignard à la gorge, en jurant que si elle ne faisoit un garçon, il la tueroit elle et son enfant. On m’a assuré qu’il la fit une fois armer de pied en cap, puis la mit sur un sauteur, et lui crioit : « Tiens-toi bien, carogne, tiens-toi bien ; tu porterois bien un homme armé, comment ne porterois-tu pas bien des armes ! » Cependant ce n’est point d’elle qu’on a su toutes ces choses.

Il n’étoit pas meilleur voisin que mari. Il se faisoit craindre à tout le monde : il disoit hautement que quand il n’auroit plus de quoi frire, il iroit prendre la vaisselle d’argent des gros milords de Paris qui avoient des maisons auprès de Gravelle, vers Étampes. Durant le siége de Corbie, M. de Sully, alors prince d’Enrichemont, étant en Italie avec M. de Créqui, Coustenan, comme un des principaux du Vexin, eut le gouvernement de Mantes en son absence, peut-être par le crédit de Senecterre, dont le fils, aujourd’hui le maréchal de La Ferté, avoit épousé la sœur de Cous-

  1. Elle étoit fille naturelle de Maximilien de Béthune, marquis de Rosny, et de Marie d’Estourmel, dame de Gravelle.