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lier, qui acheta dès le jour même un cure-dent d’or. Le cardinal voyant le chancelier, qui à la première rencontre faisoit parade de son cure-dent, dit à Bois-Robert : « Je gage que vous l’avez dit à M. le chancelier ? — Oui, monseigneur. — L’imprudent poète que vous êtes ! »

Ballesdens[1], qui est à lui, et qui a été précepteur du marquis de Coislin, dit : « Si je fais jamais imprimer mes lettres, où il y a mille flatteries pour le chancelier, je ferai mettre un errata au bout : en telle page ce que j’ai dit n’est pas vrai, en telle page, cela est faux, et ainsi du reste. »

Le chancelier a l’honneur d’être si sottement glorieux qu’il ne se desfule[2] quasi pour personne. Un jour il n’ôta quasi pas son chapeau pour M. de Nets[3], évêque d’Orléans ; l’autre lui demanda s’il étoit teigneux ; on fit une épigramme sur son incivilité.

Qu’il est dur au salut, ce fat de chancelier !
Cela le fait passer pour un esprit altier,
 Vain au-delà de toutes bornes.
Ce n’est pas pourtant qu’il soit fier,
C’est qu’il craint de montrer ses cornes.

Une fois le chancelier trouva à qui parler. Matarel,

  1. Jean Ballesdens, avocat au Parlement, membre de l’Académie françoise, auteur de quelques ouvrages médiocres. Il aimoit les anciens livres ; on trouve souvent sa signature sur le frontispice des éditions gothiques de nos vieux poètes.
  2. Qu’il ne se découvre ; du mot infula, qui signifie chaperon dans la basse latinité.
  3. Nicolas de Nets, évêque d’Orléans en 1631, mourut en 1646.