Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/39

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mot, il en devint libéral, et lui fit dire qu’il le vînt trouver le lendemain et qu’il lui feroit un présent. Jodelet ne manqua pas d’y aller : d’abord un des valets-de-chambre du chancelier lui vint dire : « J’ai parlé pour vous à monsieur, monsieur a dessein de vous donner cent pistoles ; » et ajouta à cela : « Vous n’oublierez pas vos bons amis. » Le fariné lui promit qu’il y en auroit le quart pour lui. Incontinent après, un autre valet-de-chambre lui fit la même harangue, et Jodelet lui fit la même promesse ; enfin il en vint jusqu’à quatre, car le chancelier a quatre rançonneurs de gens. Jodelet ensuite fut introduit, et le chancelier, tout riant, lui demanda : « Que voulez-vous que je vous donne ? — Monseigneur, lui répondit-il, donnez-moi cent coups de bâton, ce sera vingt-cinq pour chacun de messieurs vos valets-de-chambre. » Sa grandeur voulut tout savoir, et Jodelet, par ce moyen, s’exempta de rien donner à personne : ces coquins furent bien grondés ; toutefois leur maître leur laisse continuer leurs friponneries.

Le chancelier est l’homme du monde qui mange le plus malproprement et qui a les mains les plus sales ; il fait une certaine capilotade, où il y entre toutes sortes de drogues, et en la faisant il se lave les mains tout à son aise dans la sauce ; il déchire la viande ; enfin cela fait mal au cœur, et quoiqu’il soit payé pour la table des maîtres des requêtes, il leur fait pourtant assez mauvaise chère. Il se curoit un jour les dents chez le cardinal avec un couteau ; le cardinal s’en aperçut, et fit signe à Bois-Robert ; après il commanda au maître-d’hôtel de faire épointer tous les couteaux. Bois-Robert, le plus doucement qu’il put, le dit au chance-