Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/65

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droite ; lui passe sans le saluer. Chabot fut assez imprudent pour se plaindre de cela à Barrière, qui étoit son parent. Ruvigny nia tout à Barrière qui ne se doutoit encore de rien. Mais mademoiselle de Saint-Louys, sa sœur, alors fille de la Reine, se doutoit bien de quelque chose.

Ruvigny, enragé, s’avisa de faire une grande brutalité ; il leur voulut parler à tous deux, afin qu’ils n’ignorassent rien l’un de l’autre. Un jour, ayant l’épée au côté, il monte[1]. Chabot étoit dans la ruelle avec des gens de la maison ; elle étoit à la fenêtre ; il l’appelle, et tout bas leur dit : « Monsieur, je suis bien aise de vous dire, en présence de mademoiselle, que vous êtes l’homme du monde que j’estime le moins, et à vous, mademoiselle, en présence de monsieur, que vous êtes la fille du monde que j’estime le moins aussi. Monsieur, ayez ce que vous pourrez ; mais vous n’aurez que mon reste ; et vous savez bien, mademoiselle, que j’ai couché avec vous entre deux draps. — Ah ! dit-elle, en voilà assez pour se faire jeter par les fenêtres. — Je n’ai pas peur, répliqua Ruvigny en se reculant un peu, que vous ni lui ne l’entrepreniez. » Chabot ne dit pas une parole. Elle fut assez sotte pour conter tout cela à Barrière, mot pour mot ; Ruvigny le nia et conta la chose tout d’une autre sorte à son ami, et il dit que cela n’a éclaté qu’à cause que Chabot étoit bien aise de la décrier

  1. Saint-Luc tenoit la porte en bas, et avoit des chevaux tout prêts avec des pistolets à l’arçon de la selle : il faisoit un froid du diable ; mais Ruvigny en revint si échauffé, qu’il n’avoit pas besoin de feu. Il étoit si transporté de colère, que vous eussiez dit un fou. (T.)