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chapitre vi. — anaximène.

On ne peut qu’être confirmé dans cette manière de voir par l’examen du texte des Philosophumena (2, 2), c’est-à-dire celui où l’extrait des doctrines d’Anaximène fait par Théophraste a été conservé avec le plus de développements. Après avoir dit que, suivant le Milésien, l’air « infini » est le principe de tout ce qui est, le compilateur le décrit sous sa forme propre, lorsqu’il est au plus parfait degré d’égalité entre la dilatation et la condensation. Suit la description de la genèse des diverses autres formes de la matière, comme conséquence du mouvement.

La suite d’idées se dévoile entre les lignes : l’air « en lui-même », comme on eût dit plus tard, n’aurait pas pour nous plus de détermination que l’espace (ἄπειρος) ; mais il reçoit des déterminations qui le rendent sensible, en tant que froid, chaud, humide, en mouvement, et en allant plus loin, en tant que transformé en feu, vents, nuages, eau, terre, pierres. L’air est donc ἄπειρος en tant qu’il remplit l’espace continu, sans limitations intérieures. Mais il ne s’ensuit ni que l’espace ni que l’air soient illimités.

Ainsi il n’y aurait en réalité aucun progrès dans le concept de l’infini d’Anaximandre à Anaximène. On ne peut d’ailleurs tirer de là aucune conclusion formelle sur l’époque où vivait le second. Il a pu composer son œuvre même une cinquantaine d’années après le premier, tout en restant en dehors du cercle des idées nouvelles émises par Pythagore ou Xénophane sur l’infinitude. Trouverait-on, dans ses doctrines, quelques emprunts faits, sur d’autres points, à l’un ou l’autre de ces penseurs, il n’y aurait pour cela aucune difficulté sérieuse. Il est bien clair désormais que la question de la limitation ou de la non-limitation du monde n’était pas posée chez les Ioniens, et il a fallu sans doute un temps assez considérable pour que l’influence des doctrines italiques fût assez forte et que cette question arrivât à préoccuper sérieusement les esprits. Je ne crois même guère, comme je l’ai dit, qu’Héraclite s’y soit attaché ; mais, dans le cas contraire, ce serait encore pour la limitation qu’il se serait prononcé (Diog. L., IX, 8).

II. — Le Système cosmologique.

3. J’ai marqué les points principaux sur lesquels Anaximène avait conservé la doctrine de son précurseur ; pour tout le reste du système, on peut dire qu’il l’a refondu complètement, et son travail