Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/182

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sous la forme du feu la substance primordiale, car il veut rehausser le caractère divin et intelligent de cette substance, ce que n’ont pas fait ses précurseurs ; il lui donne donc les attributs de la matière qui lui apparaît comme la plus subtile et la moins corporelle. Le devenir perpétuel des choses dans la double voie vers le haut ou le bas sera donc une conséquence nécessaire des propriétés de cette substance primordiale, qui se transforme sans cesse pour produire l’aliment dont elle a besoin et qu’elle dévore en s’allumant et en s’éteignant suivant une règle (fr. 27). Mais la loi qui préside à ces transformations dans les phénomènes actuels, ne peut s’écarter de la loi générale de l’évolution cosmique, quoique la multiplicité et la complexité des effets puisse sembler souvent contrarier en partie cette évolution.

Le point le plus saillant de la doctrine d’Héraclite pour la voie descendante, c’est que la première transformation du feu est, non pas l’air, mais l’eau (fr. 28). Le résultat de l’embrasement général lui apparaît donc comme une masse aqueuse (probablement à la suite d’une condensation de vapeurs). Cette idée, par laquelle l’Éphésien semble, jusqu’à un certain point, se rapprocher de Thalès, peut paraître d’autant plus singulière qu’elle semble moins dériver de l’expérience journalière, avec laquelle cependant Héraclite devait la mettre en concordance suffisante.

La dernière phrase du fragment 28 est encore plus obscure ; la masse aqueuse (mer) se transforme pour moitié en terre, pour moitié en πρηστήρ, mot dont la signification est assez douteuse[1]. Quant au fragment 29, il semble indiquer que ces transformations se produisent sans changement de volume pour l’ensemble de la matière.

Voici comment j’exposerais l’ordre d’idées suivi par Héraclite : d’après l’expérience vulgaire, l’eau est ce qu’il y a de plus contraire au feu, de moins propre à entretenir la combustion ; celle-ci se produit au mieux avec des matériaux combustibles secs (γῆ) et l’air sec comme agent comburant ; l’Éphésien aura donc imaginé que le terme final de la transformation de la masse aqueuse primitive consisterait, d’une part, en un résidu solide parfaitement

  1. Il ne semble guère que les anciens se soient accordés pour désigner ainsi un même phénomène bien défini : quant à la donnée d’Aétius (10), d’après laquelle Héraclite aurait fait produire les prestères selon les embrasements et les extinctions des nuages, on ne peut non plus rien en tirer de précis. Il semble qu’il ne s’agisse là que d’éclairs de chaleur, supposés liés à des coups de vent.